Un novice vint trouver le scribe Qi et demanda : “Pardonnez mon impertinence, mais une question me trouble. Puis-je vous parler en privé ?”

Le vieux scribe répondit : “Parle, mon jeune ami, je suis là pour aider. Mais de par ma fonction je suis plus enclin à partager : si ta question peut avoir une quelconque utilité à quiconque dans le Temple, je devrais écrire à ce sujet pour les générations futures. Alors, pourquoi en privé ?”

“Et bien,” dit le novice, visiblement gêné, “c’est à propos des maîtres.”

“Ce n’est pas un secret qu’ils sont sévères,” concéda Qi, “mais justes. Aucune correction n’a été administrée inutilement.”

“Alors à votre avis, la discipline de quel maître a eu l’impact le plus durable sur le Temple ?”

Qi réfléchit.

“Ma mémoire est faillible et aurait besoin d’un petit rafraîchissement par mes bonnes vieilles archives. Viens me voir demain.”

Le novice s’inclina et prit congé.

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Le jour suivant, le novice revint. On pouvait deviner à son pas peu assuré qu’il se demandait s’il allait trouver les maîtres l’attendant de pied ferme dans l’étude du scribe, pour lui apprendre une leçon cryptique plutôt à coups de bâtons qu’à coups de livres ou paroles.

Il n’en fut rien, mais le scribe faisait peine à voir : “Ah, mon jeune ami ! Je suis désolé, j’ai dû y passer la nuit et n’ai pas encore trouvé de réponse satisfaisante. Peux-tu revenir la semaine prochaine ?”

Le novice s’inclina et prit congé.

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La semaine suivante, le novice revint. Il fut surpris de trouver le scribe qui l’attendait, quatre grosses piles de livres, feuillets et rouleaux sur son bureau déjà bien chargé.

Tout en parlant, le vieux scribe faisait des gestes amples vers chacune d’entre elles, comme s’il invitait à les lire pour prouver chacun de ses points, ou pour montrer la quantité de sommeil qu’il avait perdues pour cette tâche.

“Maître Kaimu est renommé pour sa discipline. Aucune erreur ne lui est amenée sans recevoir un traitement approprié. Bien que cela conduise quelques moines à cacher leurs erreurs par peur de voir écourter leur carrière ou leur vie, je crois que de nombreuses erreurs ont été évitées par cette sainte peur des leçons les plus expéditives de maître Kaimu.”

“Maître Banzen est reconnu pour chercher la perfection. On vient sans cesse chercher son avis, et il prend le temps de partager sa connaissance. Bien qu’on le voie parfois triste et résigné et que certains pensent que c’est une faiblesse, je crois que son dur labeur et ses corrections ont illuminé de nombreux moines.”

“Maître Bawan est connu pour ses enseignements. Il trouve toujours des métaphores qui rentrent bien dans le crâne, littéralement au besoin. Bien que certains trouvent cela moins percutant que les autres, je crois que ses leçons les plus mémorables ont apporté de la valeur sur le long terme à notre Temple.”

“Maître Suku est révérée pour son jugement. Ses corrections s’étendent toujours au-delà d’une seule personne, et elle corrige même les maîtres. Bien que certains pensent que le temps qu’elle passe avec les novices soit du temps perdu, je crois que s’assurer que les enseignements soient non seulement faits mais continuent à se répéter continuellement est d’un grand service pour des générations de moines de notre Temple.”

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Le novice réfléchit aux histoires de Qi. “Alors vous dites que je devrais m’approcher de maître Suku ? Quel dommage qu’elle soit partie pour un long voyage.”

Qi attrapa un énorme livre aux coins renforcés par du métal et le jeta soudainement au novice. Pris au dépourvu devant cette réaction, il ne pensa pas à s’écarter et le pavé le frappa violemment dans le ventre, lui coupant le souffle de longues secondes.

“Ce que je dis,” répondit Qi, “c’est que chaque méthode marche mieux sur certaines personnes à certains moments. Toutes sont complémentaires, et chacune renforce l’efficacité des autres en fournissant une comparaison des forces et faiblesses de chacune.”